Les bienfaits du jeûne

et le « bonheur cellulaire » :

interview de Pascale Destrel-Daemen, experte du jeûne

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Si la nourriture, les plaisirs de la table sont associés au bonheur, à la convivialité et au partage, le
jeûne, au contraire, est souvent associé au manque, à la tristesse, au repli sur soi. Pourtant, jeûner crée du bonheur et fait du bien à nos cellules !


Pascale Destrel, experte en jeûne, conférencière et fondatrice du Clos du Chevalier (centre de Jeûne et Randonnée) nous explique comment les pauses digestives, courtes ou longues, sont indispensables au bon fonctionnement de l'organisme et laissent la place au « bonheur cellulaire ».

Jeûner n'est pas une pratique vers laquelle nous sommes attirées de façon naturelle. Peux-tu nous expliquer pourquoi ?

Jeûner, ou s'abstenir d'une alimentation extérieure, est en effet un concept qui peut faire peur. Pour comprendre cette appréhension, il faut retourner à la préhistoire où, en tant qu'homme ou femme chasseur-cueilleur, nous ne mangions pas toujours à notre faim.

Quand la chasse était fructueuse, il y avait beaucoup à manger sur une courte période, car il n'existait pas de méthodes de conservation performantes. Alors, nous nous engraissions ! Puis ces périodes d'abondance étaient suivies de périodes de disette, voire de famines parfois très longues. Ces périodes de jeûne imposées, conjoncturelles, étaient anxiogènes car d'une durée indéterminée, elles concernaient toutes les générations.

Pour y faire face, l'espèce humaine a développé l'aptitude à fonctionner de façon optimale sans nourriture. Elle est inscrite dans notre génétique encore aujourd'hui. En parallèle, tout au long de son évolution, l'homme a cherché à sécuriser ses apports alimentaires. Il y a eu le développement de l'agriculture, de l'élevage, l'invention des transports, des différentes méthodes de conservation, jusqu'à l'industrialisation et la société actuelle de consommation.


L'espèce humaine a brillamment relevé le défi de sécurité ses apports alimentaires !

En effet, depuis les années 60, avec l'arrivée des réfrigérateurs dans nos foyers, nous avons à manger tout le temps. Mais au XXIe siècle, cette sécuritéalimentaire nous porte préjudice.
Nous nous sommes éloignés de notre génétique, qui nous impose des pauses digestives régulières. Nous mangeons trop, trop souvent et trop riche. Manger trois fois par jour, tous les jours, nous expose à des maladies dites de civilisation. Notre corps est encombré. Les excès pèsent comme une chape de plomb sur notre bonne vitalité physique et mentale.

Pourquoi a-t-on tendance à manger trop, même si on sait que c'est néfaste pour notre santé ?


Manger est un acte de vie et de survie, mais pas seulement. Manger est également un acte très émotionnel, lié à notre enfance, aux souvenirs de partage, de convivialité. Préparer un repas pour ses proches est un acte d'amour. Et il y a la nourriture de récompense, les pulsions alimentaires quand on est triste, quand on s'ennuie, quand le stress nous tenaille.

Manger trop est encouragé par la société de surconsommation : les publicités jouent sur la corde sensible de la peur du manque, qui nous habite depuis la préhistoire. Et ça marche. Notre fonctionnement « préhistorique » nous dicte de manger quand c'est possible, car demain il n'y en aura peut-être plus. Sauf que, le lendemain, il y en a encore, et encore…

Notre consommation d'AUT, les « aliments ultra-transformés », ne fait qu'augmenter. Ces préparations industrielles sont addictives, avec leurs additifs chimiques tels qu'émulsifiants, édulcorants, texturants, colorants, exhausteurs de goût. Selon les chiffres de l'EFSA, il y en a plus de 300 dans notre alimentation!

Leur texture, leur goût artificiel, leur emballage, même le son que produit le paquet de chips à son ouverture : tout est étudié pour nous forcer à consommer sans limite, au-delà du raisonnable.
Sans oublier que ces produits hautement transformés dénaturent les matières premières et n'apportent pas grand-chose qui nourrisse notre organisme. Ils l'encrassent et le rendent malade. En plus, ils portent atteinte au microbiote intestinal. Ils le déséquilibrent, au détriment des bactéries bénéfiques, voire indispensables, pour le bon fonctionnement de nos systèmes nerveux, hormonal et immunitaire.

Notre organisme a donc besoin de pauses digestives autant que d'aliments pour pouvoir fonctionner correctement ?

Oui. Aujourd'hui, dans nos contrées, nous sommes loin des famines conjoncturelles et anxiogènes. Nous avons le privilège de pouvoir jeûner de manière libre et responsable pendant des durées déterminées. C'est à chacun de trouver son bon équilibre.
Manger des aliments sains, vivants, riches en nutriments est primordial pour apporter de l'énergie à notre organisme. Mais manger tout le temps l'épuise.

Une grande partie de l'énergie quotidienne est consacrée à la digestion, à l'assimilation et à l'élimination des déchets. Si l'on considère le système digestif comme une usine de traitement, il est facile de comprendre que faire fonctionner une usine 24 h/24, 365 jours/an, n'est pas possible. Qui va nettoyer les locaux, réparer les machines ? Les organes, les enzymes, les bactéries n'ont jamais le temps de se reposer !

Comment devrait-on faire alors?

À chacun son rythme, sa façon de jeûner. Nous sommes tous différents. Il est possible de jeûner quotidiennement, une fois par semaine, de façon mensuelle ou annuelle.
En adoptant quelques bonnes habitudes générales, l'organisme se portera mieux, car il gaspillera moins d'énergie !

Respecter le jeûne nocturne est primordial ! La période alimentaire devrait être concentrée sur le jour. La nuit, nous ne devrions pas manger.
De nos jours, nous négligeons le jeûne nocturne avec les grignotages devant la télévision ou l'ordinateur. Nous dormons moins, donc nous avons encore plus tendance à grignoter. De ce fait, notre système digestif ne peut pas se reposer. Ces mauvaises habitudes l'empêchent de se régénérer la nuit.

Le foie, la station d'épuration de notre corps, travaille beaucoup la nuit. Il fonctionne merveilleusement bien quand nous sommes allongés, au chaud, avec un estomac plutôt vide.
Mieux vaut éviter de manger entre le repas léger du soir et le repas du matin, qui s'appelle « petit dé-jeûner » : rompre le jeûne de la nuit avec un petit repas !

Le jeûne intermittent

Une fois habitué aux jeûnes nocturnes, il est possible de prolonger la pause digestive de la nuit en repoussant l'heure du petit-déjeuner, voire en le supprimant. Ainsi, « l'usine digestive » aura le temps de se vider, de se nettoyer et de se réparer.

Certaines bactéries ont besoin de ce repos digestif pour pouvoir réparer le mucus, c'est-à-dire la couche protectrice de notre tuyauterie digestive. Si l'on mange tout le temps, ces bactéries sont au chômage technique !
Une pause digestive de 14 heures ou plus est prouvée bénéfique par une multitude d'études scientifiques. (1)

Mais nous avons besoin de sucre pour fonctionner, n'est-ce pas ?

Notre corps a besoin de glucose pour fonctionner, mais il n'est pas nécessaire d'ingérer des aliments pour avoir cet apport en énergie.
Quand nous jeûnons, le corps met en place des stratégies adaptatives et trouve de l'énergie dans ses réserves. Il y a tout ce qu'il faut dans l'organisme !
Quand nous jeûnons, nous sommes au « self » : nous allons nous manger nous-mêmes.

Selon la durée du jeûne, plusieurs paliers se mettent en route :

  • Pendant les premières heures, le foie va déstocker le glycogène, c'est-à-dire du glucose compacté, pour faire fonctionner le cerveau, les muscles, les organes.
  • Au bout d'une petite journée, l'organisme se tourne vers les déchets cellulaires. Les cellules encombrées de polluants s'en libèrent. Ces déchets seront ensuite découpés et recyclés en énergie. Les cellules trop abîmées, trop enflammées, seront décomposées en acides aminés puis transformées en glucose. Le prix Nobel de médecine 2016 a été décerné au Japonais Yoshinori Ohsumi pour ses travaux sur l'autophagie.
  • Quand la nourriture manque plus longtemps, le corps va chercher son énergie dans son « kit de survie » : les cellules adipeuses. À partir de cette graisse, décomposée en acides gras, le corps produit des cétones, une super énergie aux effets anti-inflammatoires, euphorisants et coupe-faim. Par ailleurs, le déstockage de graisses viscérales redonne de l’espace et de l’aisance de fonctionnement aux organes vitaux. Les polluants, mis en quarantaine dans ces graisses, se libèrent pour être évacués. Ainsi, l'organisme peut se délester, se nettoyer et se réparer en profondeur. (2)

Mais on ne peut pas jeûner de façon illimitée !

Le jeûne à des limites. Le corps ayant besoin d'un minimum de tissu adipeux, il faut surveiller cet aspect. Si jeûner est une pratique naturelle, il faut l'apprécier de façon progressive. Et en cas de maladie ou de prise de médicaments, un avis médical est toujours nécessaire.

Apprendre à jeûner dans un centre spécialisé me semble recommandé. Tu organises des stages de jeûne combinés à de la randonnée dans la commanderie templière que tu habites. Raconte-nous comment ça se passe.

Les humains du XXIe siècle ont perdu l'habitude de jeûner. On nous apprend à finir notre assiette, à manger pour grandir, pour être fort et intelligent. Les publicités nous incitent à manger cinq fois par jour ! Prendre la décision de s'abstenir de nourriture pendant un certain temps semble donc complètement fou ! Se décider est le plus grand pas à faire.

Comme il est plus facile de jeûner loin de chez soi, loin de ses habitudes quotidiennes, nous avons conçu un lieu douillet, sans référence à l'alimentation. Le Clos est une invitation au lâcher-prise. Une équipe professionnelle y propose des massages, du yoga, de la relaxation. Il y a un sauna, un spa, une piscine. L'énergie du groupe est également porteuse.

Pour bien vivre son jeûne, il est important de comprendre le processus physiologique. Dans notre centre, les échanges et conférences expliquent les bienfaits et les limites du jeûne.
La randonnée douce quotidienne est d'une importance capitale. Marcher soutient la détox, et on se sent mieux. Situé au cœur du Parc Naturel Régional des Causses du Quercy, nous traversons des villages classés, la vallée de la Dordogne, Rocamadour et d'autres merveilles.

Une vingtaine de cures par an, de 4 ou 6 jours, promettent un repos intégral pour le corps et pour le mental. Les jeûneurs du Clos du Chevalier parlent de leur cure comme « une borne dans leur vie », un « reset », parfois même d'une « renaissance ».

C'est une expérience très marquante en effet !

Oui, permettre un repos intégral au corps est un vrai cadeau que l'on se fait à soi-même, à sa vitalité !
L'organisme peut enfin se délester de ses encombrants, il peut se réparer, se régénérer. Les cellules se libèrent, les organes retrouvent un meilleur fonctionnement, l'esprit s'éclaircit, même le cerveau se régénère. Quand on a renoué avec la pratique du jeûne, on sent bien que chaque petite cellule nous dit merci ! Jeûner n'est pas une punition, c'est créer de la joie cellulaire ! Toi, Sarah, tu as apprécié ton séjour de jeûne au Clos. Qu'as-tu ressenti ?


Oui le séjour au Clos était fabuleux, j’ai tout aimé, ton approche rassurante, experte et bienveillante, le cadre extraordinaire, les activités proposées… Ce qui m’a le plus marquée : c’est l’absence de faim…
Sentir que mon corps gérait, c’était vraiment extraordinaire ! Encore merci Pascale d’œuvrer pour la démocratisation de cette pratique, que nous pouvons tous nous approprier à notre façon comme tu l’expliques si bien !

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(1) *Le jeûne intermittent et l'alimentation à duréelimitée dans le temps, la santé, la performance physique et la prévention des maladies , *FroFrontières de la nutrition , 2023

(2) *Cétose induite par le jeûne prolongé chez 1.610 sujets : régulation métabolique et sécurité, Franziska Grundler, Nutriments, 2024.